Promesses Sublimes de la Nature
Dans les œuvres de Cristina Rodriguez se proposent aussi des souvenirs et des échos d'un pays où la flore, les montagnes, les imposantes masses d'arbres qu'on dirait sculptées, racontent une aurore permanente d'un monde où naissent toutes les couleurs imaginables. On ne parlera certes pas de répétition ou de citation, mais d'une sorte de terre intouchée d'une richesse sans fin dont les teintes et les formes montent au cerveau comme une ivresse. Collection de couleurs vivaces à ciel ouvert, la terre colombienne et sa palette peuvent légitimement nous regarder d'un peu haut. Chacune de ses fleurs, créations éclatantes ou discrètes, se raconte non comme décoration, mais comme interrogation d'une beauté nouvelle qui invite à quelque dialogue étrange. Car l'accumulation de ces magies, aussi intrigante qu'un conte de Poe, offre lieu charmé plein d'ilôts, de recoins, de cavernes, de secrets d'ancêtres et de fées, de longs passages et de rites. Comment ne pas s'embarquer sur cette région comme vers ces pays où la beauté ne cesse de croître, d'entrelacer sous nos yeux des jeux de teintes inconnus et des pétales sauvages nés dans le fond des forêts ? C'est là que se racontent des fables, des récits de tribus, des rites étroitement mêlés à la croissance des présences animales réelles ou fabuleuses : c'est peut-être une piste pour aborder le flux créatif de l'inspiration chez cette artiste. Les roses très élaborés croisent des ombres marbrées de lignes vertes profondes, qui elles-mêmes attirent des surfaces d'écorces et de feuillages qui affichent, même quand leurs teintes ne sont pas éclatantes, une densité tonale très énergique. Comme le dit elle-même Cristina Rodriguez, ses toiles représentent et affirment une réalité du monde d'alentour, mais elle les crée avec une ferveur qui réaffirme le vivant avec un regain de beauté qui fait que les montagnes sont bleues comme l'eau profonde, et que les choses retrouvées ont l' éclat des yeux de cristal d'un animal léger et furtif qui nous épie au fond de la nuit.
Au Cœur du Fleuve d'Amazonie
Dans les sous-bois remplis d'ombre où poussent des troncs droits et resserrés, la vue s'engage vers quelque point éloigné, et la forêt que l'on sent proche offre une trame sombre. Les éléments de cette nature à la fois sauvage et dense occupent et créent un fond très rempli, et si la vue fuit vers des zones compactes, saturées de créations autonomes, on est immédiatement captivé par la scène – tout le tableau, espace primordial, réunit les tons d'une palette riche de sonorités, éclatant d' énigmes, et qui déploie des trésors. Scène dramatique éloignée de toute promenade agréable, le tableau invite à une exploration imaginaire de lieux inquiétants mais pleins d'une énergie où affleurent mille vies. Si la masse brune de l'arbre géant est posée en sentinelle, la toile est habitée, elle pense d'heureux instants. L’œil qui se réjouit se demande soudain quelle est cette fête, ce ravissement et ce bonheur intouché qui s'épanouit. Bois, lianes, mousses, insectes, écorces, pirogue et passagers proclament un être éternel. En témoignent le papillon bleu de ciel, affiché simplement avec confiance, et le perroquet de rubis serti de diamants qui s'est posé sur un arbre comme un bijou. La toile est l'une des plus complètes et des plus fascinantes de l'artiste par son concert de valeurs profondes, et son récit d'amazonie qui éclate de joie, elle est ravie, épanouie, recréée, et cependant apaisée par ce ton vert général et son effet de douce lenteur. Il se dévoile ici une fête, un festin de formes. Elles revivent toutes leur surgissement total, et Cristina Rodriguez a su recréer pour elles une vraie lumière de l'âme. Quant au serpent qui joue ici le ruban ou le serpentin, imitation d'une guirlande de fête ou tentateur originel, il enroule la scène dans sa spire de fantaisie mi-drôle et mi-sombre. Symbole de lieu bien gardé ou animal des grands périls, il paraît ici nous siffler un air de fête pour ce beau tableau musical, ce grand jaillissement de forces vives sur lequel nous restons longtemps penchés pour en comprendre la profondeur.
Eric Levergeois
Philosophe
2015